mardi 15 décembre 2015

Les changements climatiques attendus en région Auvergne-Rhône-Alpes

Voici ce à quoi nous échapperons si les accords de la COP21 tiennent leurs engagements.

Parmi les changements climatiques attendus en France à l’horizon de la 2nde moitié du XXIe siècle, deux phénomènes majeurs se distinguent : l’un concerne les littoraux qui seront impactés par le rehaussement du niveau des océans, l’autre concerne la montagne et le climat continental qui verront le niveau des températures augmenter plus qu’ailleurs. Du fait de l’importance de ces deux espaces en France (4700 km de cotes, 30% de superficie de la France est en montagne), l’adaptation aux changements climatiques impliquera des efforts intenses.

La région Auvergne-Rhône-Alpes se distingue sans doute plus à nos yeux d’environnementalistes comme espace montagnard que comme 2nd poumon économique de la France ou de population. En effet, 42% des auvergnats et 35% des Rhône-Alpins vivent en zone de montagne, c'est-à-dire au dessus de 600m d’altitude.

Alors que le scénario d’évolution des températures le plus probable retient pour la France une élévation de + 2,5° C entre 2070 et 2100, la tendance pour l’essentiel du Massif Central et des Alpes se situe au-delà de 3° C (source MEDDE). Les grandes tendances discernent surtout des changements vers des vagues de chaleur estivales plus longues (par ex. +20 jours par rapport aux 30 dernières années), des précipitations extrêmes (lames d’eau brutales) plus fréquentes, des gelées et des hivers nettement moins rudes.

La montagne se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète : + 0,89° C en France depuis le début du XXe siècle, mais + 2° C dans les Alpes où ce phénomène est bien documenté.

Les conséquences sur l’espace montagnard sont à tous égards démultipliées. Ainsi 1° C de hausse des températures provoquent un décalage de la limite de l’enneigement, des espèces végétales et animales (celles qui le peuvent) de 150 m en altitude.


L’élévation prévue des températures supposerait donc un déplacement des étages de végétation d’environ 700m vers le haut, mais plus ils s’élèvent, plus ces espaces perdent de leur surface initiale. Ainsi l’étage nival qui s’étendait au dessus de 2800m dans les Alpes en 2010 passerait au dessus de 3400m en 2100 et perdrait donc 86% de sa superficie. Des espèces comme le Lagopède, le Lièvre variable serait très menacées.

D’autres qui vivent plus bas ne seront pas indemnes puisque la désynchronisation de certaines étapes importantes de leurs cycles vitaux pourrait leur être fatal. Ainsi une floraison plus précoce ne permettra pas au chevreuil et au bouquetin de nourrir ou de bien sevrer leurs jeunes. Une hibernation contrariée par la moindre efficacité thermique du manteau neigeux qui protège les tanières des marmottes aura des conséquences funestes sur la viabilité de leurs portées au printemps.

Les conséquences sur la ressource en eau seront sévères car à la baisse d’épaisseur du manteau neigeux, son irrégularité dans le temps et l’espace, s’ajouteront les chaleurs printanières et estivales qui viendront diminuer l’efficacité des pluies même si leur quantité reste constante (plus d’évapotranspiration). Une tension sur la ressource qui s’ajoutera à la fonte des glaciers, notamment sur la partie sud de l’arc alpin où ils pourraient n’être plus qu’un lointain souvenir à l’horizon du XXIIe siècle. Déjà depuis 1970, ils ont tous perdus ¼ de leur surface, et rien que la mer de glace proche du massif du Mont Blanc devrait reculer d’encore 1,2km d’ici à 2040 (après un recul de 700m depuis 1970).

Le Rhône, le plus puissant des cours d’eau français (près du double de la Loire) verra son débit estival amputé de 30% voire plus dans la partie aval où la contribution de la Durance, pénalisée par la disparition des glaciers du sud des Alpes, sera réduite drastiquement.

Qu’en sera-t-il alors des usages développés autour de cefleuve, poumon économique de la région (14 réacteurs nucléaires = 20% de l’électricité produite en France aujourd’hui ; couloir de la chimie au sud de Lyon ; grands barrages en dérivation) et des conséquences sur le milieu aquatique déjà en situation de stress quantitatif et qui devra subir une double peine avec l’augmentation des températures de l’eau rejetée par ces installations. Comme l’a montré dès les années 2000, l’IRSTEA pour le Rhône et l’Ain, les structures des communautés de poissons et d’invertébrés seront impactées avec une recomposition qui exclura les espèces qui vivent dans une eau tempérée voire froide. Truites et chabot se sauveront vers les sources s’ils peuvent, barbeau et chevesne seront remplacés par la vandoise. Mais les effets sur la prolifération bactérienne ne laisseront peut être pas le temps aux cortèges de se recomposer (des infections parasitaires qui explosent lors des épisodes caniculaires peuvent décimer jusqu’à 90% des truites et ombles).

Les conséquences sur la distribution de la neige concerneront bien sur les parties basses des massifs, bien plus vastes, plus peuplées. Avec le réchauffement hivernal, la limite pluie neige s’élève et en dessous de 1500m le manteau se désagrège quand il arrive à se former. La tendance actuelle est à la perte de 6 jours d’enneigement par décennie. Mais dans la Chartreuse, ce sont déjà 70cm de neige qui ont été perdus depuis ½ siècle et Météo-France projette à 1800m d’altitude, une diminution de 35 jours d’enneigement à l’horizon 2050 voire 75 jours (plus de 2 mois !) en 2100 ! (cf. Sciences & Vie ; nov.2015).


Toute l’économie liée à l’or blanc va devoir être revue car malgré le suréquipement en neige artificielle, l’élargissement des pistes pour répartir la contrainte, la création de retenue pour accumuler l’eau, rien ne permettra de dépasser la limite physique : en température positive on ne peut créer de la neige, et malgré tous les adjuvants, sa fonte Canons à neige artificielle en été © Jean François Deshayes serait de toute façon rapide au sol où la préparation pré-hivernale des stations devient déjà impossible. Les fameuses stations des Alpes comme Morzine, la Cluzaz, ou du Massif-Central comme le Lioran ou Super-Besse qui ne peuvent s’étendre vers le haut ne feront qu’amplifier la crise en tirant encore plus sur la ressource en eau, mais les stations « industrielles » de très hautes montagnes (les Arcs, Val d’Isère…) seront impactées également et déploieront des moyens technologiques qui auront des conséquences sur le coût de forfaits et donc la fréquentation.

Mais le tourisme en montagne ne se résume pas qu’au ski et l’effet du réchauffement se fait déjà sentir sur la randonnée et surtout l’alpinisme. Outre la fragilité du manteau neigeux et glaciaire qui rend déjà certaines expéditions hivernales hasardeuses, de nombreuses parois rocheuses et le permafrost deviennent instables, augmentant les risques d’avalanches, de chutes de rochers. Les effondrements accélérés des Drus dans le massif du Mont Blanc ces 20 dernières années sont pour beaucoup de guides de haute montagne des signes palpables de ces évolutions et cette ascension mythique ouverte depuis 1878, risque bientôt de ne plus faire rêver personne. Et cet été 2015 caniculaire a vu la fermeture durant 15 jours de la voie d’accès principale au Mont Blanc par le refuge du Goûter, un mauvais signal pour l’économie de la haute montagne.

A nos altitudes Auvergnates un autre effet se profile que peu d’observateurs avertis commentent tant les conséquences sur l’agriculture de moyenne montagne seront sévères. Avec le réchauffement, la précocité de la pousse de l’herbe en estive décalera les dates de mises à l’herbe d’autant plus que plus bas, le stress hydrique et le sur-chargement constant des exploitations inciteront à une montade anticipée. L’interruption de la croissance de l’herbe plus tôt en été pourrait contrarier cet eldorado où les investissements, en foncier, en équipement (notamment les captages d’eau pour l’abreuvement au détriment des zones humides) se font sans tenir compte des changements climatiques.


Alors à quelles adaptations devront nous nous préparer, vers quelles solutions iront nous ?

En préparation de la COP 21, France Nature Environnement et ses fédérations régionales ont produit des cahiers d’acteurs compilant un certain nombre de propositions (cf. www.fne.asso.fr) dont plusieurs concernent la montagne.

Il apparait ainsi évident qu’il faille dès maintenant économiser, partager et retenir l’eau. Les zones humides d’altitude (montagne et haute montagne) n’ont pas encore été trop altérées mais les tensions, évoquées ci-dessus –généralisation de la neige artificielle ; intensification agricole…- doivent rapidement baisser si l’on veut conserver un potentiel de résilience de ces espaces fragiles.

De la même façon et malgré l’impérieuse nécessité de développer les énergies renouvelables, l’équipement des rivières pour produire de l’électricité (microcentrales) ne peut plus s’envisager dans le domaine montagnard si l’on veut maintenir des refuges pour la faune, et soutenir les continuités écologiques.

De vastes espaces naturels, sur les rives des fleuves, dans l’espace montagnard, en zones forestières, devront être intégrés grâce aux procédures de réserves et de parcs naturels à un ensemble interconnecté et dynamique qui permettront à la faune, à la flore et aux habitats de trouver des espaces de replis comme à chaque épisode climatique de notre histoire géologique. Ces lieux de découvertes et de recentrage sur la nature, utile pour faire supporter aussi aux habitants de la région, des choix douloureux sur les habitudes de vie, qui s’imposeront si leur accompagnement est trop incertain.

Ainsi, il faudra, comme le titre Science et Vie en novembre dernier, « faire le deuil du ski » dans toutes les stations situées autour des 1500m d’altitude ! Ce sera très difficile car un certain tissu social et économique s’est bâti autour de la pratique hivernale. Mais ce n’est pas impossible car des perspectives « positives » de l’augmentation des épisodes caniculaires dans les plaines et les littoraux, favoriseront untourisme de la fraicheur qui trouvera sa place sur une moyenne montagne accessible, disposant de l’hébergement, des infrastructures. L’époque d’un héliotropisme insensé qui a ravagé les littoraux méditerranéens s’achève et l’idée que la montagne, qui conservera encore des températures acceptables par des populations vieillissantes, puisse tirer son épingle du jeu devrait mobiliser tous les acteurs.

Mais l’ensemble des déplacements, qui produisent localement les conditions de l’élévation des températures (augmentation des gaz à effets de serre –GEZ- des polluants…) devront être revus ! Si certaines collectivités des Alpes commencent, malgré l’énorme pression qu’elles subissent (couloir à camion, industrie, densité de population…) à lancer des Plans Climat Energie (communauté de communes de la vallée de Chamonix) ou des initiatives du type « territoire à énergie positive » (St-Martin d’Uriage en Isère) rares sont celles qui, en Auvergne, ont développé un niveau d’acuité des changements climatiques suffisant pour passer à l’action. Le leitmotiv est encore au désenclavement tout routier, au sacrifice des liaisons ferrées, au saupoudrage sur les nouveaux moyens de déplacement (vélo, aires de covoiturage, bus intercités…) dans un double décalage avec la nécessité de réduire les GES et la paupérisation des habitants de la moyenne montagne (taux de pauvreté des cantaliens à 16,4% en 2011 contre 14,3 pour la France).

​Joël Bec, FDANE Cantal


A lire :
* Science et Vie n°1178 novembre 2015
* FNE & FRAPNA – refaisons le climat ; climat et montagne ; septembre 2015.
* Lettre du Milieu Montagnard n° 46 : le changement climatique en montagne ; Commission Nationale de Protection de la Montagne –Fédé des clubs alpins français.

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